16/01/2021
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Le Suisse Marco Lehmann ne veut plus mener une double vie

ZURICH (Suisse) – Je fais ceci pour tous les gens qui ne veulent plus avoir à mener une double vie, pour tous ceux qui vivent dans un système où ils n'existent pas. Je le fais pour les générations futures, afin qu'elles puissent vivre une carrière sportive sans devoir se cacher. Et pour tout vous dire, je le fais aussi pour moi, pour pouvoir vivre librement, sans ce fardeau.

Mon nom est Marco Lehmann. Je suis un basketteur professionnel de 27 ans et j'ai décidé de ne pas attendre ma retraite sportive pour dévoiler mon homosexualité.

Comment m'étais-je imaginé mon coming out ? Je vous explique : le score est à égalité. Je prends le dernier tir au moment où la sirène retentit. Swish. Mon équipe gagne le match. Je suis champion, le MVP même. Tout le monde éclate de joie. J'embrasse mon petit ami devant eux. Boom, c'est fait. Je me réveille et tout va bien.

Malheureusement, rien de tout ça n'est encore vraiment arrivé jusqu'à présent. Ne vous méprenez pas : j'ai déjà marqué des paniers de la victoire ! Mais jusqu'à aujourd'hui, je n'osais pas afficher mon homosexualité. Seuls ma famille, mes amis et mes coéquipiers de 3x3 le savaient depuis un moment, mais c'est tout. 



J'aurais probablement pu garder ce secret jusqu'à l'apogée de ma carrière professionnelle. Mais j'en ai décidé autrement.

Voici pourquoi :

La force mentale est l'un des attributs les plus importants pour un athlète. Et j'ai toujours considéré que c'était l'une des mes plus grandes qualités. Or c'est précisément ce qui s'est complètement écroulé en moi, comme un château de cartes, à la fin de l'année 2019.

À ce moment-là, je jouais professionnellement depuis neuf ans. C'était ma troisième saison à combiner le basket l'hiver et le 3x3 avec l'équipe nationale de Suisse et Team Lausanne sur le World Tour. Pendant trois ans, je pratiquais le basket 47 week-ends par année. Nous avons parcouru le monde, joué dans 20 pays. Sydney, Los Angeles, Montréal, Tokyo, etc. Au bord de l'eau, dans des sites historiques, parfois dans des énormes centres commerciaux. J'ai fait quelques incursions dans le Top 15 mondial. Je vivais pleinement mon rêve. 

Pourtant, je n'étais pas heureux.



Je cachais ma véritable identité depuis tellement longtemps que cela en affectait ma santé mentale. Chaque semaine, le même rituel : mon petit ami m'amenait à l'aéroport et dès le moment où je passais le contrôle de sécurité, l'homosexuel heureux en couple redevenait un athlète professionnel dépourvu d'émotion, qui ne voulait pas parler de sa vie privée.

En décembre 2019, j'ai touché le fond. J'ai commencé à avoir des crises d'angoisse et de larmes, des sueurs froides dans le dos. Tout ça pourquoi ? Simplement en pensant à mon prochain entraînement. "Are we talking about practice ?" ("on parle juste d'un entraînement ?", référence à une remarque d'Allen Iverson en conférence de presse alors qu'il venait de perdre un ami cher). Je n'en pouvais plus de devoir adapter ma personnalité à mon environnement. 

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J'ai appelé pour dire que j'étais malade et je me suis isolé. Dans l'espoir que mes attaques de panique allaient cesser. Mais elles n'ont pas arrêté. L'interdiction de voyager et la pause forcée à cause de la pandémie m'ont aidé à cacher mes problèmes psychologiques au monde du basket. Je m'étais toujours dit que j'arriverais à traverser toute ma carrière en répétant : je n'ai pas de petite amie parce que je veux me concentrer sur le basket”. Mais je n'en pouvais plus. 

On a parfois l'impression qu'il n'y a pas d'hommes homosexuels dans les sports collectifs. Dans ce milieu, être homosexuel est un tabou. Les gens n'en parlent pas et il n'y a aucun soutien. Il faut que cela cesse MAINTENANT. Parce que franchement, c'est l'une des raisons pour lesquelles de nombreux jeunes abandonnent la pratique d'un sport collectif une fois que ceux qui les entourent découvrent leur homosexualité. Vous comprendrez mieux après avoir lu ces deux histoires que je vais partager avec vous.

Discours d'un coach à la mi-temps d'un match :

“Mais qu'est-ce que vous faites ? Ne soyez pas si faibles ! Vous jouez comme des homosexuels, comme des cha**es ! Jouez plus dur en deuxième mi-temps ! Montrez-leur que vous êtes forts !”

J'aurais adoré prendre la parole. Dire que l'homosexuel de l'équipe était en fait le seul qui réalisait un bon match et qui jouait dur. Mais je ne pouvais pas. Le pire dans tout ça, c'est que l'équipe a été inspirée par ce discours. Sérieusement, les gars ? Pourquoi l'homosexualité est-elle associée à la faiblesse ?

Trajet en bus après un match à l'extérieur

Une fois, les homosexuels étaient au centre des discussions au sein de mon équipe de basket (pas de 3x3), durant le trajet en bus. J'étais sur le point de m'endormir, mes yeux étaient fermés, mais j'écoutais la conversation :

“Pour moi, l'homosexualité est une maladie. Ils devraient se suicider. Vous vous imaginez devoir jouer aux côtés de l'un d'eux, dans votre équipe ?!?“

Que feriez-vous dans cette situation ? Prendre le gars à partie et lui dire comment c'est de jouer avec quelqu'un comme lui ? J'étais sous le choc. Arrivé chez moi, je n'ai pas réussi à trouver le sommeil. À quatre heure du matin, je me suis dit que c'en était trop, que je ne rejouerais plus jamais. Mais ça a été la plus courte retraite sportive de tous les temps. Parce que j'adore ce sport à tel point que j'étais prêt à passer sous silence ma vraie personnalité. Est-ce que je donnerais le ballon à une personne qui pense ouvertement que je devrais me suicider ?

Seulement si c'est la seule manière de gagner un match.

Trois jours plus tard, je reprenais le chemin des entraînements.



Après avoir vécu des moments pareils, vous êtes de retour à la case départ. Vous ne songez plus à faire votre coming out. Tout le processus recommence. Un jour, j'ai eu suffisamment confiance pour le dire à mes coéquipiers. Je voulais tout leur expliquer et répondre à leurs questions. Car à la fin, nous n'avions qu'à juste nous entendre sur le terrain. La vie privée, c'est autre chose. Or c'est ce jour-là que j'ai réalisé que ce ne sont pas vos coéquipiers qui décident du futur de votre carrière : ce sont les coachs, les managers et les équipes qui vous proposent des contrats. Il y avait donc toujours la crainte de ne pas recevoir de contrat à cause de votre orientation sexuelle. C'est ce qui m'avait poussé à garder le silence jusqu'à aujourd'hui.



J'ai eu quelques très belles occasions de faire mon coming out. À la fin de la saison 2016-2017, j'ai été couronné “top scorer” de la ligue suisse de basketball parmi les joueurs suisses. J'ai été invité à un gala. Tout le monde était présent, y compris le ministre des sports. Je venais de tomber amoureux de mon petit ami et tout allait merveilleusement bien. Jusqu'au moment où on m'a demandé qui m'accompagnerait à la cérémonie.

Moi, marchant sur le tapis rouge main dans la main avec mon petit ami. Ça aurait fait le titre des journaux le lendemain : "Le top scorer suisse est homosexuel !”

Évidemment, j'y suis finalement allé tout seul.

Toutes ces situations. Toutes ces nuits blanches. Tous ces moments de peur et de doute m'ont conduit à ce que je fais maintenant. Le moment est venu de profiter du reste de ma carrière sans avoir à vivre une double vie ou à cacher qui je suis vraiment. Avec un peu de chance, ma démarche pourra aider d'autres athlètes homosexuels en Suisse et dans le monde. Cela n'a aucune importance si à la fin d'une belle victoire, un joueur embrasse sa petite amie ou son petit ami.

“ À mon avis, un athlète ne peut évoluer au plus haut niveau que s'il est en paix avec lui-même.

 À partir d'aujourd'hui, je serai pleinement moi.

Je m'appelle Marco Lehmann, joueur de basket 3x3 et homosexuel.

Veuillez m'excuser, mais je dois désormais me concentrer pour essayer de gagner une étape du World Tour et qualifier la Suisse pour les JO de 2024.

 

Marco Lehmann

Marco Lehmann

Considéré comme l'un des meilleurs tireurs à trois points du 3x3, il a conduit la Suisse vers deux apparitions à la 'FIBA 3x3 Europe Cup'. Marco a aussi brillé sur le circuit professionnel de 3x3 FIBA avec sa Team Lausanne, qui a participé à trois éditions des 'FIBA 3x3 World Tour Finals'. Au sommet de sa carrière, âgé de 27 ans seulement, il a décidé de ne plus attendre pour annoncer qu'il est un joueur professionnel de 3x3 homosexuel.